24.09.2020 - 08.11.2020
SHIGEKO KUBOTA
PATRICK CARPENTIER
M HKA, ANTWERP

EN

THE REAL MAN TEMPERS HIS OWN BRIGHTNESS IN ORDER TO MERGE HIMSELF INTO THE OBSCURITY OF OTHERS. OKAKURA KAKUZO

The artist-anthropologist gathers material by simply observing reality as it unfolds. He uses intimacy as a medium for transmission. He creates a personal mythology wherein private gestures are elevated to the status of artworks, all the while underlining the dynamics between individual uniqueness and collective society.
In this double exhibition presented by CCINQ at Nick Lodgers, everything points to an animism that confirms the artist’s role as an intermediary, or kind of shaman. A sharp glance is cast at the profound essence of our society and interactions with the surrounding world. We are presented with a social form of art that could quench our thirst for the sacred, and that might have the power to reconnect things: a shield from solitude.
Once again, CCINQ brings together two artworks in a bid to reveal the essential via a simple, pared-back situation directly addressed to the viewer. A meeting of minds where two distinct artistic practices engage, and become a discursive moment.

DARK, THE TASK OF TIME

In 1971, Kohei Yoshiyuki discovered that after nightfall in Tokyo’s Shinjuku park, couples come together to engage in sexual acts while people watch. Yoshiyuki spent months steeped in this strange and symbiotic subculture of public sex and voyeurism in order to document it: “It took six months for me to be considered a member of the voyeur community”. The first photographs he took were unsuccessful, so he decided to use high-speed infrared film combined with a stroboscopic flash, and a dark red filter.

In the pitch black night of the park, it was impossible to calculate distance and perspective. What resulted were blurry, arbitrary compositions that recall the imagery of wildlife documentaries or CCTV recordings.
According to the British photographer Martin Parr, The Park (1971-1973) is “a brilliant piece of social documentation, capturing perfectly the loneliness, sadness and desperation that so often accompany sexual or human relationships in a big, hard metropolis like Tokyo.”
Nicolas Leroy’s mesmerizing film Maelström (2019) is a thought set in motion. Feelings of dizziness and energy are heightened by the capsized camera angle, magnetically pulling in the viewers’ gaze. The forty-minute-long silent image in motion becomes hypnotic, fast-flowing and dense, a gushing apparition that turns the mind upon itself. Perhaps it’s a gesture towards the everyday fear of facing potential emotional conflict.
Such torment is present in Homer’s Odyssey: when returning to Ithaca by boat after the Trojan war, Ulysses and his allies are caught between monsters that devour sailors on one side, and a maelstrom that swallows up sea vessels on the other. This episode allowed Homer to make plain that his hero would not live through the ordeal unscathed.

VESTIGES OF AN IMPRINT

My father (1973-1975) by Shigeko Kubota opens with a caption relating how, on the day her father died she had bought a plane ticket to visit him in Japan. Later that same day, a friend suggested she should film her sadness.

This video diary is a declaration of grief. It is not only deeply intimate, but also tainted with irony: the artist’s late father appears on the screen as he watches another television screen himself. This video is a cathartic exorcism of sorrow, a simultaneous experience of observing and remembering. It’s a ceremony and a ritual. The configuration of grief is laid bare as the video opens up a private commemoration into a collective experience. My father is a virtual ritual for a parent whose presence and absence are total.
Timeline (2013) amalgamates loss, absence and transmission in an object of extreme minimalism. Patrick Carpentier’s sculpture is composed of jewelry inherited from his mother. The pieces were melted and the matter stretched out to the longest length possible. What remains is a relic, a ruse that thwarts the inherent contentiousness of an object-become-memory. The fine gold line not only encompasses a story of a lifetime, but also gives the measure of time itself. An irreversible countdown. Death becomes a reality. It’s a total awakening. The subject is announced. A determined instant, an initiation, a discovery: I am mortal.


Patrick Carpentier

FR

L'HOMME VÉRITABLE ATTÉNUE SON PROPRE ÉCLAT POUR POUVOIR SE PLONGER LUI-MÊME DANS L'OBSCURITÉ DES AUTRES. OKAKURA KAKUZO

En envisagent la voie du réel, l’artiste anthropologue documente. Il utilise l’intimité comme vecteur de transmission. Il crée une mythologie individuelle où les actions privées sont érigées en oeuvre d’art et souligne par là même les rapports entre l’individu dans sa singularité et le collectif.
Dans cette double exposition présentée par CCINQ à Nick Lodgers, tout évoque un animisme qui fait de l'artiste un intermédiaire, une sorte de chaman. Un regard aiguisé sur la nature profonde de notre société et notre rapport au monde. Un art social qui répondrait au besoin de sacré, qui relierait, un rempart à l’esseulement.
Comme à son habitude CCINQ présente la rencontre d’une oeuvre avec une autre, pour un retour à la source, à un dispositif simplifié, épuré assurant un contact direct avec son audience. Un regard croisé où deux pratiques deviennent conversation.

SOMBRE, L’ŒUVRE DU TEMPS

En 1971 Kohei Yoshiyuki découvre que la nuit, dans le parc Shinjuku à Tokyo se retrouvent des couples pour avoir des relations sexuelles, entourés par des voyeurs.
Yoshiyuki a passé les mois suivants à se plonger dans cette étrange sous-culture symbiotique du sexe en public et de ses voyeurs, afin de la documenter : « Cela m’a pris six mois pour être accepté et considéré comme un membre de cette communauté de voyeurs » Ces premières photographies sont un échec, il décide alors de se munir de pellicule infrarouges haute vitesse et un flash stroboscopique additionnel avec un filtre de couleur rouge foncé.
Dans le parc, l’obscurité est totale, impossible d’évaluer les angles de vues et les distances. Mise au point imprécise, compositions non formelles ne sont pas sans nous faire penser au documentaire animalier ou à l’enregistrement d’une camera de surveillance. Selon le photographe britannique Martin Parr, The Park (1971-1973) est « une œuvre documentaire brillante qui saisit parfaitement la solitude, la tristesse et le désespoir qui accompagnent si souvent les rapports humains et les relations sexuelles dans les grandes métropoles comme Tokyo ».
Magnétique, le film Maelström (2019) de Nicolas Leroy est une pensée en mouvement. En renversant l’horizontalité de son plan le filmeur accentue la sensation d’un vertige et d’une énergie qui nous entraine irrésistiblement.
Cette séquence silencieuse de 40 minutes est hypnotique, d’une densité impétueuse, elle est un jaillissement, un surgissement qui nous renvoie à nous-mêmes. Vers peut-être une anxiété quotidienne de vivre ou d'affronter d'éventuels conflits sensibles.
Une angoisse déjà illustrée par Homère dans L’Odyssée, quand sur le chemin du retour, vers Ithaque après la guerre de Troie, Ulysse et ses compagnons, à bord de leur bateau, se retrouvent entre d’un côté des monstres qui dévorent les marins et de l’autre un maelström qui engloutit les navires. Homère souligne par ce passage de son épopée, l’impossibilité pour le héros de sortir indemne de l’épreuve.

VESTIGES D’UNE EMPREINTE

La vidéo My father (1973-1975) de Shigeko Kubota s’ouvre par un intertitre parlant du décès de son père le jour où elle avait acheté un billet d'avion pour le retrouver au Japon. Ce jour-là, une amie, lui suggère de se filmer sa tristesse.
Ce journal vidéo, est une déclaration de chagrin. Profondément intime, il est aussi ironique : l’image d’un père disparu apparaissant sur l’écran, regardant lui-même un écran de télévision.
Cette vidéo est un exorcisme cathartique du chagrin. Elle est témoin et mémoire simultanément. C’est une cérémonie, un rite. Une disposition de régulation qui habite la tristesse. Par cette vidéo même cette cérémonie devient collective. Un virtuel rituel pour un père à la fois présent et absent.
Avec Timeline (2013), disparition, absence et transmission sont réunis en un seul objet d’un extrême minimalisme. Cette sculpture de Patrick Carpentier est composé de bijoux hérités de sa mère. Fondus, puis étirés à une longueur maximale déterminée par la quantité de matière disponible.
Relique, esquive, qui déjoue le conflictuel inné a sa nature d’objet mémoire. Pourtant cette fine ligne d’or, élémentaire expression d’une vie dit le temps. Le compte à rebours irréversible. La mort devient réalité. C'est une prise de conscience totale. Une déclaration de sujet. Un moment déterminé, une initiation, une découverte : je suis mortel.


Patrick Carpentier